Croisements inopinés
Entre frottements intempestifs et discussions hors du temps
Une expérience intéressante est vécue quotidiennement à notre porte pour ceux qui ont l'habitude de sillonner les quelques routes carrossables du comté... pour se rendre au chef-lieu ou dans l'un de ses nombreux hameaux (une bonne trentaine en comptant les différents “mas”). Une expérience privilégiée pour les gens de la campagne cévenole, impossible à imaginer des citadins, même dans les bouchons récurrents de la circulation en ville et à sa périphérie.
Le moment et le temps qu'il fait sont importants pour participer -ou assister, à son corps défendant- au phénomène, lié à l'activité propre des habitants, en début de matinée, vers midi et en fin d'après-midi, accompagnement scolaire, trajet de travail, courses proches ou lointaines, mais aussi rencontres associatives ou générationnelles au “centre-ville”.
Les voies de passage allant au Mazel, à Favières, à Valnières, à la Tribale et à l'Asclier (les RD 152, 152A & 323...) ne sont pas très nombreuses mais presque partout à voie quasi unique. Toutes font penser à de fins méandres intestinaux, alternant étranglements et élargissements selon les possibilités offertes par la géologie du lieu et les maigres réfuges grignotés sur la nature. Pour le conducteur habitué au trajet, parfois peu attentif mais qui garde au moins un œil sur la route pour éviter les écueils du bas-côté, il faut anticiper tout à la fois la sinuosité du trajet, l'étroitesse de la chaussée, l'opportunité d'un petit renfoncement pour se croiser, et la rencontre, parfois très soudaine, d'un véhicule au détour d'un virage !
Ce qui donne toute sa saveur à l'aventure, fréquente mais toujours unique, c'est bien le dénouement de la rencontre, parfois anticipée, parfois inattendue, avec le véhicule venant en sens inverse. C'est dans les quelques secondes qui précèdent, cinq à dix tout au plus, que tout se joue.
La distance permet d'abord une reconnaissance rapide, parfois instantanée, du véhicule et de la physionomie derrière le volant, supposé fréquenter le même trajet: une bonnne vieille C15 ou équivalent, érafflé ou cabossé (tiens tiens...), le pick-up du service municipal, le bus du ramassage scolaire, ou une voiture connue ou supposée reconnue. La décision s'impose alors d'elle-même : se croiser ou s'arrêter.
Se croiser avec plus ou moins de gesticulations: faire marche arrière sans visibilité, “serrer les fesses” avec un bas-côté indéfinissable, un aval pentu et risqué, l'absence de certitude sur la largeur disponible, parfois un peu d'attentisme sur la priorité en côte ou/et en plein virage. Ralentir au pas et descendre la fenêtre pour se saluer, avec le pied bientôt sur le frein pour entreprendre éventuellement de faire causette, échanger des nouvelles du coin, s'avertir d'un rocher écroulé sur la route...
Le temps s'arrête alors (mais pas le bruit car les moteurs continuent de tourner...). C'est bien l'impression que l'on a. Une pause dans la marche du temps. Pour celui qui arrive par l'arrière, il n'y a par contre rien d'autre à faire que de prendre son mal en patience. Un coup de klaxon serait très malvenu, qui dénote un manque de savoir-vivre et catalogue immédiatement le “parisien” ou le touriste... et qui pourrait faire craindre de prolonger l'arrêt des véhicules.
Le redémarrage s'effectue tout aussi inopinément, dans la jubilation intérieure des deux protagonistes, non pas d'avoir fait “bisquer” un éventuel impatient, mais d'avoir donné du temps au temps, d'avoir contribué à la nouaison sociale dans un village fier de ses coutûmes ancestrales... (MichLang, 4 juin 2011)